Bio
Crédit photo: PressAgriMed, article du 17 mai 2023_ Régénérer les sols face à la sécheresse
Céline Basset
Experte en régénération du microbiote du sol, directrice du Laboratoire Santé du Sol et Présidente de l'Association la ferme Blue Soil.
Experte en régénération du microbiote du sol, directrice du Laboratoire Santé du Sol et Présidente de l'Association la ferme Blue Soil.
Doctorante en Sciences de Gestion et du management, spécialité Sciences humaines et humanités nouvelles
Conservatoire National des Arts et Métiers à Paris (Cnam)
Laboratoire : Équipe Sécurité Défense (ESDR)
Laboratoire ESDR du Cnam
L'équipe Sécurité & Défense - Renseignement, Criminologie, Crises, Cybermenaces (ESDR3C) réunit chercheurs et experts spécialistes des menaces criminogènes contemporaines (terrorisme, criminalité organisée, criminalité en col blanc, cybermenaces…) avec pour ambition de répondre aux demandes des grands donneur.euse.s d’ordres (industrie, Europe, ministères) en leur fournissant une analyse pluridisciplinaire fine et détaillée des grands enjeux sécuritaires de notre temps. Les menaces criminelles et terroristes pesant sur la quasi-totalité des États sur tous les continents appellent à un renforcement de la coopération scientifique nationale et internationale pour comprendre les racines de la criminalité, du terrorisme, du passage à la violence et l’ensemble de ses vecteurs de financement et de propagation (cybercriminalité, délinquance).
" Problème sur les chaînes d'approvisionnement, quelle autonomie alimentaire pour les pays industrialisés ? "
Résumé de la thèse
L’industrialisation et la globalisation des dernières décennies ont rallongé les chaînes d’approvisionnement et augmenté les dépendances énergétiques et géopolitiques. Plus récemment, les perturbations des chaînes d'approvisionnement alimentaire dans le sillage de la pandémie et des conflits géopolitiques actuels ont mis en lumière l'importance de la résilience et révèlent les risques d’insécurité alimentaire qui jusqu’à présent, étaient davantage attribués aux pays émergents et aux pays en développement. De manière concomitante, les dérèglements climatiques et écosystémiques induisent des changements environnementaux qui ajoutent également une augmentation des risques menaçant la sécurité alimentaire globale (sécheresse, inondations, incendies, pertes des rendements agricoles, pertes des qualités nutritionnelles, tensions énergétiques). Les défis d’adaptation d’un territoire pouvant être adossés à la sécurité commencent à se faire entendre et se multiplient en touchant à la fois les plans politique, économique et social. Les systèmes agricoles et alimentaires, pour répondre aux besoins locaux sans dépendre entièrement des chaînes d’approvisionnement fragilisées par les dépendances énergétiques, géopolitiques et par la volatilité des prix, sont dans la nécessité de s’adapter aux logiques de reterritorialisation, de résilience et de reconnexion du monde agricole à la production alimentaire territorial pour répondre aux besoins de sécurité alimentaire locaux. Cependant, l’état avancé de la désertification, de la pollution et de la dégradation des sols, couplé à une urbanisation intensive caractérisant les pays développés, mettent en difficulté les initiatives de résilience alimentaire territoriales sans planifier en amont un plan de régénération du sol. Cette thèse s’inscrit dans une démarche prospective et dans le cadre scientifique de la sécurité du sol qui fait de celui-ci une partie intégrante de la réponse aux préoccupations sociétales concernant les défis environnementaux, énergétiques et économiques mondiaux. La sécurité des sols attribut cinq dimensions : (1) capacité et (2) condition qui font références aux fonctions du sol et sont intrinsèquement liées aux qualités bio-physico-chimiques et les dimensions (3) capital, (4) connectivité et (5) codifications, qui sont relatives aux services rendus par le sol et s’expriment en indicateurs socio-économiques et politiques. Les objectifs de cette thèse consistent à mettre en lumière le nexus entre la sécurité alimentaire, la sécurité des sols et la sécurité nationale. La dimension territoriale de l’agroécologie, qui définit comme une science de la gestion des ressources naturelles, représente un agent actif crucial pour sécuriser la disponibilité, l’accès, l’utilisation et la qualité de l’eau et de l’alimentation des territoires. À travers une étude expérimentale portant sur l’amélioration des qualités biologiques du sol nous étudierons les indices économiques (rendements agricoles et profitabilité de l’entreprise) et les indices écosystémiques (biomasse microbienne, capacités de rétention d’eau, temps, vitesse de croissance des cultures, tassement du sol), chez 2 agriculteurs issues des filières viticole et céréalières en système non optimisé situés dans la Drôme. La résilience organisationnelle et économique des entreprises agricoles et les dimensions connectivité et codification sont évaluées dans un second temps à travers des enquêtes réalisées auprès du tout public et auprès des élus de la Communauté de Communes affiliée aux territoires des agriculteurs.
Les résultats permettraient de consolider les travaux antérieurs concernant le rôle de la santé du sol dans l’installation de stratégies alimentaires territoriales et de démontrer son rôle moteur dans la mise en place de systèmes agricoles et alimentaires territorialisés indépendants des produits phytosanitaires et des engrais acheminés par les chaînes d’approvisionnement. Mais aussi de cibler les difficultés de la résilience organisationnelle des entreprises agricoles et de corréler les externalités positives d’un sol en bonne santé tant sur le plan économique que sur le plan écosystémique.
Mots-clefs : chaîne d’approvisionnement, sécurité alimentaire, sécurité des sols, agroécologie, territoire, résilience, ordre public
" La santé du microbiote du sol, garante de la sécurité alimentaire et de la sécurité nationale "
Cadre théorique & bibliographie
Ma recherche s'inscrit dans la discipline des sciences de gestion et plus particulièrement dans le paradigme de la sécurité des sols (Soil Security). La convergence des travaux de recherche multidisciplinaires de la communauté scientifique internationale, dont les travaux du Pr. McBratney (2013), Pozza & Field (2020) et de la Pr. Ingham (Soil Food Web, Hunt & al, 1987), a largement contribué à l'emmergence du concept multidimentionel de la sécurité des sols dans les années 1990-2000. Nous reconnaissont l'existence de 5 dimensions (1) capacité, (2) condition, (3) capital, (4) connectivité et (5) codification, des entités du sol qui englobent les sciences sociales, économiques et biophysiques mais également les cadres juridiques et politiques (McBratley & al. 2013).
Regroupant un ensemble de disciplines telles que les sciences du sol (microbiologie, agronomie), les sciences économique, sociale et la résilience organisationnelle des entreprises agricoles, mes travaux proposent des expérimentations se déroulant sur des parcelles agricoles des filières viticole et céréalière. Les systèmes de gestion agricole sont en agriculture biologique (AB) et non-optimisés - c'est-à-dire qu'ils ne bénéficient pas d'irrigation, ni d'apports d'engrais, ni de traitements phytosanitaires.
Partant du scénario d'une rupture sur les chaînes d'approvisionnement (Linou, 2018) (acheminant engrais, denrées alimentaires, énergie...), serait-il possible aujourd'hui d'assurer à toute la population et à tout moment un accès physique et économique à une nourriture saine et nutritive ? (FAO 1996 ; Das at al. 2022 ; Vidar 2022).
Les objectifs de mes travaux consistent à positionner la santé du microbiote du sol comme socle de la sécurité alimentaire et de la sécurité d'un territoire.
Pour étudier la transversalité d'une problématique systémique, plusieurs études sont en cours. Tout d'abord une étude longitudinale pour observer les effets de la régénération du microbiote du sol par vermiremédiation sur les fonctions et les sevices du sol (Javed et Hasmi, 2021; Grassevorà et al. 2024) . Dans un second temps, une étude consistant à observer les conséquences de la vermiremédiation sur les rendements et la rentabilité économique des entreprises agricole et enfin à une plus grande échelle, étudier les perceptions et volontés des politiques territoriales concernant les enjeux de sécurité face aux risque de rupture des chaînes d'approvisionnement (Tiep Le et al. 2022; Gray 2020; Kerr 2020) et aux sols dévitalisés fragilisant les capacités de production (Bricas et al. 2013; Negrutiu et al. 2019; Liu et al. 2020).
Sciences du sol et Sciences humaines et sociales
Posture épistémologique
Les sciences de gestion couvrent plusieurs champs disciplinaires et seraient le lieu où convergent, se rencontrent et s’hybrident quelquefois, des savoirs affluant de divers horizons, en particulier des sciences sociales « établies » (économie, sociologie, psychologie, sciences politiques, etc.). Selon Girod-Séville et Perret (1999), la logique de production des savoirs des sciences de gestion semble être caractérisée par trois approches différentes : positiviste, constructiviste et interprétativiste. À la lumière des différents paradigmes épistémologiques, il convient de se positionner en suivant la logique proposée dans les travaux de Thietart et al (2014).
Question relative à l’épistémologie : « Comment la posture positiviste influe-t ’elle sur la manière de produire de la connaissance dans un contexte pluridisciplinaires ? »
Question relative à la méthodologie : « Quelles méthodologie de recherche et d’analyses sont les plus pertinentes et applicables à la volonté d’observer la présence ou l’absence d’effet d’un sol en bonne santé sur les indicateurs écosystémiques et les indicateurs de gestion ? »
Question relative à l’ontologie : « Comment la fabrication de connaissance de la présente étude, basée sur le positivisme, contribue-elle à la construction de la connaissance dans le domaine de la sécurité des sols et plus largement aux sciences de gestions ? »
Question relative à l’axiologie : « Comment les valeurs du positivisme que sont la vérifiabilité, la confirmabilité et la réfutabilité, contribuent à prendre en compte davantage le sol comme un facteur déterminant dans la gestion des sphères sociétales (économiques, sociales et politiques) basée sur la stabilité de l’axe sécurité alimentaire/sécurité national ? ».
Le domaine de la sécurité des sols s’intègre dans les sciences de gestion et se caractérise par un regroupement de recherches uni et pluridisciplinaires fondées sur des données probantes concernant tous les aspects qu’un sol dit en « sécurité » (ou en bonne santé), peut générer comme services pour la société. Les disciplines étudiants ces effets regroupent : les sciences naturelles, humaines, économiques, sociales et politiques. Hybridant sciences « dures » et sciences « molles », et par soucis de facilitation des échanges de connaissances, il apparaît clair que les découvertes et l’objectif doivent primer dans l’élaboration des savoirs. Au regard des différents courants épistémologiques, le positivisme apparaît comme la posture la plus en adéquation avec le sujet de cette étude qui consiste à produire une connaissance par l’observation d’un effet où l’objet étudié est indépendant du sujet. Plus particulièrement, la fabrique de la connaissance repose sur des hypothèses théoriques qui soumettent l’objet d’étude à l’épreuve de l’expérience par l’observation et l’expérimentation. Dans le positivisme les faits peuvent être isolés et identifiés. Ainsi on peut prétendre les appréhender et les traiter comme des éléments ayant une existence propre en eux-mêmes, qui sont : vérifiables, confirmables et réfutables. On peut ainsi identifier ce qui constitue le fait et ce qui lui est étranger. L’approche épistémologique retenue pour ces travaux conditionne nécessairement la méthode de l’objet de recherche. Les problèmes complexes notamment dans les cas où s'enchevêtrent les questions organisationnelles avec celles des relations humaines, constituent un entrelacement parfois difficile à décortiquer - d’où le choix du positivisme et les démarches méthodologiques quantitatives qui permettent de lier les objectifs à leurs fins, d'expliquer les effets par leur causalité, d'appliquer des modèles aux fins de prise de décision applicables aux champs économiques, politique et social.
Méthodologie
Selon Naji (2023), les sciences de gestions ont toujours donné leur préférence à la méthode expérimentale et aux mathématiques. Dans le cadre de cette thèse, la référence aux méthodes expérimentales s'impose comme le moyen le plus efficace qui permet de vérifier le lien entre la théorie et la réalité organisationnelle. Les fondamentaux de la méthodologie sont la méthode inductive (qui part d’une position qui considère comme étant inutile de faire des hypothèses), la méthode abductive (qui part d’hypothèses vérifiées et éventuellement corrigées en fonction des résultats) et la méthode hypothético-déductive qui repose sur la tension « conjecture-réfutation » à partir d’hypothèses qui vont servir de base à la démonstration. Par ailleurs, dans cette étude, nous entretenons donc une relation d’indépendance avec l’objet de recherche. Nous testons des hypothèses (est-ce que telle variable est cause ou non de tel phénomène ?) et nous étudions les enchaînements causes/conséquences courts. Cette approche est favorable aux tests probabilistes dès lors que la taille de l’échantillon et sa constitution assurent sa représentativité.
Le terrain de cette étude se concentre sur plusieurs parcelles agricoles en partenariat avec des agriculteurs et agricultrices volontaires. Nous empruntons la logique hypothético-déductive dont l’objectif expérimental consiste à observer si l’amélioration de la qualité des sols par un procédé microbiologique spécifique a d’une part, un effet sur les fonctions écosystémiques du sol (eau, structure et biodisponibilités des nutriments) et d’autres part, si le rétablissement de ces dernières permet d’améliorer les rendements et la rentabilité économique de l’entreprise agricole. Dans une perspective de sécurité alimentaire territoriale, ces effets permettraient d’augmenter la capacitance d’un territoire à se maintenir en sécurité en autonomisant la production agricole de la sorte. La mesure des effets se fait à travers la collecte de données empiriques regroupées en deux catégories d’indicateurs : 1_ écosystémiques (analyses microbiologiques, capteurs de rétention d’eau, mesure du tassement du sol etc) et 2_ de gestion (coûts de production, rendements, rentabilité etc).
Le bénéfice des statistiques apporte une compensation de la difficulté à se faire accepter pour des études de cas approfondies dans une organisation (ici entreprises agricoles) et permet de se limiter à deux ou trois cas en multipliant le nombre de réplicas pour chaque mesure. Enfin, la méthode quantitative permet d’affermir la validité des résultats en présentant une mesure des phénomènes observés. Selon Trompette et Vinck (2009) ; Star et Griesmeser (1989) les techniques quantitatives apportent un soutien au chercheur dans ses travaux et jouent le rôle d’objet-frontière dans la communauté scientifique en facilitant les échanges de connaissances.
Cependant, selon Maurand-Valet (2010), les travaux purement quantitatifs sont rares. Il existe presque toujours une rupture qualitative dans le schéma de recherche, à savoir un stade où le chercheur ou bien les acteurs du terrain étudié introduisent une interprétation des faits ou un jugement de valeur. Il est donc important de noter que les méthodes déclinées par le positionnement épistémologique sont poreuses car on trouve des séquences qualitatives « encapsulées » au milieu de séquences quantitatives et réciproquement. À l’heure actuelle, si l’argument de la mesurabilité comme soutien à la scientificité de cette étude peut être retenu, il ne pourrait potentiellement pas être suffisant pour englober tous les phénomènes observés et pourrait potentiellement envisager le développement d’une approche méthodologique mixte.